jeudi 22 août 2013

Attaque chimique en Syrie : ce qu’on sait

Le 21 août 2013, à Damas, un homme aide une femme qui pleure sur des corps d’enfants, qui seraient morts d’une attaque chimique (HOEP/AP/SIPA)
Des images atroces, un bilan très lourd, des condamnations fermes... et un démenti catégorique des autorités syriennes sur l’utilisation d’armes chimiques. Au lendemain de l’attaque massive contre la banlieue de Damas, le flou total règne.
Et la lumière n’est pas près d’être faite, malgré la présence d’inspecteurs des Nations unies, à Damas (justement là pour vérifier la présence d’armes chimiques) : leur mandat est très limité, ils sont encadrés par le régime de Bachar el-Assad et le massacre de la banlieue de Damas ne fait – pour l’instant – pas partie du programme de la visite.
Il faudra donc se contenter de sources provenant de l’opposition syrienne.
Lors d’un entretien avec le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon, François Hollande a évoqué jeudi « l’usage probable d’armes chimiques », a rapporté l’Elysée.
Sur France Info, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, s’est lui-même basé sur le témoignage du président de la coalition nationale syrienne pour parler d’« un drame abominable, une attaque massive, un drame quasiment sans précédent ».
Invité de BFM-TV ce jeudi, le ministre a déclaré :
« Je vais vous donner mes sources d’information. Mercredi soir, j’ai eu, à sa demande, longuement, Ahmad Assi Jarba, le président de la coalition syrienne. Lui me confirme absolument ces éléments en disant qu’il y a eu une attaque très très dure avec des avions, des missiles et qu’il y a eu également utilisation d’arme chimique, massive, dans la banlieue de Damas. [...] Donc lui est formel. [...] Si c’est vrai, c’est un carnage épouvantable. »

Quel bilan ?

Ce n’est pas la première attaque par armes chimiques en Syrie, mais c’est la première aussi massive depuis le début du conflit il y a plus de deux ans. Les images atroces d’enfants en train d’étouffer, sans traces de blessures, circulent sur les réseaux sociaux.
Un montage vidéo réalisé par LeMonde.fr montre le résultat des bombardements (attention, ces images sont très dures).
ATTAQUE À DAMAS (IMAGES SENSIBLES)
Peut-on se fier aux photos des victimes de Damas, s’interroge BFM-TV.com. Car il n’existe aucun document indépendant. L’Agence France presse (AFP) explique mener un travail d’investigation pour établir l’authenticité des photos qu’elle diffuse.
Devant l’absence de sources indépendantes autorisées à accéder aux sites concernés, on ne peut que citer les différentes versions émanant de l’opposition ou d’ONG :
  • George Sabra, l’un des leaders de l’opposition syrienne, basé à Istanbul a avancé le chiffre de 1 300 morts ;
  • le directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), Rami Abdel Rahmane, qui n’a pas confirmé l’usage d’armes chimiques, a parlé d’au moins 136 morts ;
  • « Toutes les victimes – 1 188 mercredi soir – ne sont pas mortes par armes chimiques. Nous estimons à 540 celles qui ont succombé aux gaz neurotoxiques », a estimé Oubaida Al Moufti, de l’Union des organisations syriennes de secours médicaux, interviewé jeudi matin sur France Inter ;
  • sur BFM-TV, le porte-parole de l’opposition syrienne à Paris, Fahad al-Masri, avance le chiffre de 1 700 morts, et de nombreux adultes et enfants dans le coma, ou touchés par des problèmes respiratoires.
Une autre vidéo montre les corps de personnes qui auraient été tuées lors de cette attaque chimique. Parmi les victimes, beaucoup d’enfants. Encore une fois, ces images sont très dures.
ATTAQUE À DAMAS (IMAGES SENSIBLES)

Quel gaz ?

Sur Mediapart, le docteur Majed, médecin au centre médical de Douma,explique que ce quartier résidentiel de la banlieue de Damas est régulièrement touché par des attaques chimiques, mais que c’est la concentration de gaz qui cette fois fait la différence.
Sur Europe 1, Abou Ali, médecin syrien qui a soigné une centaine de personnes mercredi dans un hôpital de fortune de la banlieue de Damas,raconte :
« La plupart, c’étaient des femmes et des enfants. Ils sont arrivés en pyjama. Ils étaient tous en train de suffoquer, on n’arrivait pas à leur enlever leurs vêtements, ils étaient incontrôlables.
Le plus dur, ça a été de faire le tri. J’ai vu les yeux d’un enfant demandant de l’aide à un de mes collègues qui ne pouvait plus rien pour lui. Il y avait des cas tellement graves, alors pour essayer de sauver les autres, y en a qu’on a dû laisser mourir. »
TÉMOIGNAGE D’UN MÉDECIN SYRIEN SUR EUROPE 1
Le témoignage d’un médecin du centre médical de Jobar ci-dessous montre l’ampleur de la difficulté à secourir la population : lui-même raconte avoir vu mourir, impuissant, 50 enfants. Les gens ont eu le réflexe de se réfugier dans les caves au début de l’attaque, ce qui a accru le bilan.
Le site du Washington Post a repris « LA vidéo des attaques en Syrie que tout le monde devrait voir » : pendant qu’un médecin essaie de la rassurer, une petite fille qui aurait survécu aux attaques chimiques répète en boucle, l’air paniqué :
« Je suis en vie, je suis en vie. »
Gwyn Winfield, directeur du magazine CBRNe Wold, spécialisé dans les armes chimiques, interrogé par l’AFP, reste prudent :
« Il n’existe aucune information indiquant que les médecins ou des infirmières ont succombé, ce qui laisse à penser que ce n’est pas ce que nous considérons comme du gaz sarin militaire, mais pourrait être un gaz sarin dilué. »
Rappelons que le tristement célèbre gaz sarin a été étiqueté « comme arme de destruction massive par les Nations unies en 1991 », et qu’il s’agirait là de sa première utilisation « de manière massive contre des populations civiles », affirme Olivier Lepick. Pas certain que le gaz utilisé soit le fameux gaz sarin, ce dernier estime sur RTL :
« Les symptômes que présentent les victimes sont très concordants et très troublants. Les pupilles dilatées, les expectorations bronchiques [l’expulsion par la toux de secrétions, ndlr], les convulsions musculaires qu’on voit sur ces vidéos sont très caractéristiques de l’intoxication neurotoxique. »

« Je compte sur Ban Ki-moon »

Laurent Fabius a exclu d’envoyer des forces militaires en Syrie et préconise l’envoi sur place des enquêteurs de l’ONU :
« Moi, je compte sur le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, qui doit faire en sorte que l’enquête puisse avoir lieu immédiatement. Si les Syriens ne veulent pas, ça veut dire qu’ils sont pris la main dans le sac. »
« Nous réclamons que la communauté internationale intervienne dès que possible dans cette situation où la ligne rouge a été franchie depuis longtemps », a quant à lui déclaré le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, à Berlin ce jeudi.
Sur BFM-TV, l’ex-ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner s’est dit« partisan d’une intervention en Syrie, [et ce] depuis longtemps ».
Sophie Caillat | Journaliste Rue89
Rue89       &      Rue89

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire