samedi 25 mai 2013

FRANCE: Plus d'un enfant sur dix de couples divorcés ne voit jamais son père

Serge Charnay, père divorcé retranché au sommet d'une grue à Nantes pour revendiquer la garde de son enfant, le 15 février. | Castelli


De la grue à Nantes à la cathédrale d'Orléans, les actions coups de poings de pères divorcés se sont multipliées ces derniers mois. Ils ont mis en lumière des situations souvent complexes et de nouvelles revendications quant à la garde de leurs enfants. Une étude de l'Institut national d'études démographiques (INED) publiée jeudi 23 mai se penche sur le sujet, dans une étude intitulée "Quand la séparation des parents s'accompagne d'une rupture du lien entre le père et l'enfant", réalisée à partir des données d'uneenquête réalisée en 2005 auprès de 10 079 hommes ou femmes âgés de 18 à 79 ans.
Un phénomène qui touche les couches sociales les moins favorisées


Moins le père est diplômé, plus le lien avec son enfant est ténu. Une position professionnelle précaire (contrat à durée déterminée, chômage, invalidité) ne favorise pas le maintien des relations. Inversement, la proportion d'enfants ne voyant jamais leur père est bien moindre quand le revenu du ménage dans lequel il vit est élevé : 8 % quand le revenu mensuel est de 3 000 euros ou plus, contre 30 % pour un revenu inférieur à 1 000 euros. Selon l'Insee, "46 % des enfants majeurs dont le père est ouvrier ou employé non qualifié ne le voient jamais, contre 13 % pour les enfants de cadres".

La distance entre les domiciles des parents

Plus le père et l'enfant vivent éloignés l'un de l'autre, moins ils se voient, autant pour des raisons financières que logistiques. Ce constat, sans suprise, contient néanmoins quelques subtilités, notamment sur le temps de trajet. Jusqu'à 4 heures de trajet, "le temps nécessaire pour se rendre d'un domicile à l'autre joue fortement sur la fréquence des rencontres" mais n'affecte pas la "proportion d'enfants que le père ne voit jamais". C'est seulement au-delà de 4 heures que cette proportion augmente fortement. Dans ce cas, 33 % des pères ne voient jamais leurs enfants, note l'INED.
L'âge de l'enfant, un critère déterminant

L'âge de l'enfant au moment de la séparation joue un rôle primordial : "Plus d'un enfant sur quatre parmi ceux qui avaient moins de trois ans au moment de la rupture ne voit pas son père, contre un sur sept parmi ceux qui avaient au moins 8 ans." L'âge fatidique de la majorité constitue également une bascule dans les rapports entre l'enfant et son père. Le droit de visite et d'hébergement est en effet désormais encadré juridiquement jusqu'à la majorité de l'enfant et l'étude note un net décrochage quand l'enfant passe la barre des 18 ans. L'absence de rencontres avec le père concerne en effet 19 % des enfants ayant entre 18 et 21 ans, et 32 % des enfants ayant entre 30 et 34 ans.
La rupture du lien est plus rare après une garde alternée

Selon l'INED, la résidence alternée, instituée par la loi du 4 mars 2002, réduit les risques de rupture du lien entre l'enfant et le père car elle lui permet "de maintenir un lien régulier", "une certaine quotidienneté", mais aussi car elle est "la traduction de séparations plus consensuelles, moins conflictuelles". Le lien est plus souvent rompu si l'enfant a vécu principalement chez la mère dans l'année qui a suivi la séparation : "21 % des enfants ne voient alors plus leur père, contre 12 % dans les rares cas où la résidence de l'enfant a été confiée au père, et seulement 1 % si l'enfant s'est retrouvé en résidence alternée". Toutefois, bien qu'en augmentation ces dernières années, la résidence alternée reste rare et il est exceptionnel que le père obtienne la garde de l'enfant.
Que dit la loi sur l'autorité parentale ?

Jusqu'en 1970, le mari était le chef de famille. La loi du 4 juin 1970 a substitué "l'autorité parentale" à la "puissance paternelle". Dans le même temps, les droits de l'enfant émergent. Le droit suit ce mouvement. En 2002, le gouvernement de Lionel Jospin fait voter la loi sur l'autorité parentale, qui affirme que l'intérêt de l'enfant est d'être élevé par ses deux parents et permet aux juges, en cas de séparation, de fixer en alternance le domicile chez le père et la mère.

L'exercice du droit de visite et d'hébergement ne peut être refusé au parent qui n'a pas la garde de l'enfant, sauf motifs graves, mais la loi n'impose pas de principe relatif à la résidence des enfants, qui est majoritairement fixée chez la mère, dans 75 % des cas. Un projet de loi a ainsi été déposé le 24 octobre 2012 "visant à préserver l'autorité partagée et à privilégier la résidence alternée pour l'enfant en cas de séparation des parents".
Des données statistiques à mettre en perspective


En dépit de l'émergence de nouvelles normes de paternité, une étude d'Informations sociales montre également que la plupart des pères réclament rarement la garde complète ou la résidence alternée. S'ils sont de plus en plus nombreux à s'impliquer au-delà des besoins matériels de leurs enfants, et sont partie prenante de leur éducation, bascule opérée dans les années 1970, l'écart entre les aspirations et les pratiques concrètes est encore important.

Lire (édition abonnés) : En père et contre toutes

L'auteur de l'étude de l'INED, Arnaud Régnier-Loilier, note également que "certains enfants ne souhaitent plus voir leur père mais aussi, dans certains cas, que le père estime que son rôle de parent s'arrête à la majorité de l'enfant et ne fait plus d'effort pour maintenir les liens". Enfin, la rupture des liens entre enfants et pères résulte souvent de situations déjà conflictuelles, soit entre parents, soit entre le père et l'enfant.


Proportion d'enfants de parents séparés ne voyant jamais leur père selon diverses caractéristiques
% ne voyant jamais le père
Sexe de l'enfantFille
Garçon
17,7 %
17,9 % 
Durée écoulée depuis la séparation0-4 ans
5-9 ans
10-14 ans
15-34 ans
non connue
5,6 %
7,3 %
19,4 %
32,3 %
19,3 %
Conjoint à l'origine de la demande de divorcele père
les deux
la mère
non mariés
21,7 %
15,6 %
23,2 %
15,7%
Situation familiale actuelle du pèreseul
en couple sans enfant
en couple avec enfant(s)
14,1 %
20,1 %
24,2 %
Avec qui l'enfant a résidé l'année suivant la séparationavec le père
avec la mère
en résidence alternée
autres situations
12 %
21 %
1 %
9,6 %
Diplôme du pèreinférieur au Bac
Bac
supérieur au Bac
22,3 %
10,9 %
6 %
Situation d'activité du pèreactif occupé
inactif, au chômage
15,2 %
27,6 % 
Revenu mensuel du ménage du pèremoins de 1000 €
1000-1999 €
2000-2999 €
3000 € et plus
29,8 %
15,6 %
23,4 %
7,8 %
Le père a passé la majeure partie de son enfance...avec ses deux parents
autres situations
15, 1 %
30,3 % 
Fréquence des rencontres entre le père et son propre pèrejamais
moins d'une fois par mois
moins d'une fois par semaine
une fois par semaine ou plus
père décédé
39,3 %
6 %
8,9 %
2,5 %
22,3 %
Ensemble17,8 %
source : Ined / Insee 2005

Le Monde.fr

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire