jeudi 8 novembre 2012

Au Cameroun, Paul Biya fête 30 ans de pouvoir sans partage

06 NOVEMBRE 2012 | PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART
Fanny Pigeaud
Le photomontage circule depuis plusieurs semaines à travers les réseaux sociaux : on y voit le visage des cinq présidents américains qui ont occupé la Maison Blanche entre 1982 et 2012, ainsi que celui des quatre chefs d’État qui se sont succédé à la même période au Ghana et en France. Au-dessus, deux portraits : l’un de Paul Biya jeune et l’autre de… Paul Biya vieux. Voilà résumée l’histoire récente du Cameroun : ce 6 novembre, Paul Biya, 79 ans, entame sa 31e année au pouvoir. Dans un contexte inquiétant : son long règne a à la fois épuisé le pays et planté les germes d’une crise potentielle grave.
C’est à la faveur de la démission surprise d’Ahmadou Ahidjo dont il était le premier ministre et le successeur constitutionnel, que Biya est arrivé à la présidence et il n’était pas assuré d’y rester longtemps. « On ne me donnait, au départ, que six mois de survie et, dans le fond, on n’avait pas tort. Toute la sécurité avait été mise en place par mon prédécesseur et lui était dévouée », a-t-il lui-même raconté plus tard. Victime d’une tentative de putsch en 1984, il s’est par la suite employé à bâtir un système de gouvernance qui lui a finalement permis de devenir omnipotent, mais qui a durablement plombé l’avenir du Cameroun.
Biya a ainsi cassé toute opposition et possible alternative à son pouvoir. En faisant usage de la violence : en février 2008, c’est à balles réelles que les forces de sécurité ont réprimé un mouvement de contestation politique et social, faisant plus de 100 morts, selon des ONG. Aujourd’hui, « la police débarque dans la moindre réunion d’un syndicat ou d’un parti d’opposition pour l’interdire », témoigne Odile Biyidi Awala, ex-présidente de l’association française Survie et propriétaire d’une librairie à Yaoundé. Pour neutraliser les opposants, le président a aussi utilisé la corruption. Résultat, le principal parti d’opposition, le Social Democratic Front (SDF), qui soulevait les foules au début des années 1990 en clamant « Power to the people ! » et « Biya must go ! », n’a plus grand crédit aux yeux des Camerounais. Ces derniers, qui se sont battus en vain il y a vingt ans pour obtenir une vraie démocratie, ne s’intéressent plus, pour la plupart, à la politique, ne prenant plus la peine de voter.
Le président a de manière générale privilégié la loyauté au détriment des compétences et du mérite. Pour s’assurer des soutiens et calmer ceux qui, dans son camp, pouvaient avoir des ambitions politiques, il a distribué postes, faveurs et positions de rente. « L’homme Lion », un de ses surnoms, a aussi laissé ministres et hauts fonctionnaires se servir dans les caisses de l’État, sans égard pour le développement économique du pays. Celui-ci ne semble d’ailleurs pas préoccuper Biya, qui séjourne fréquemment en Suisse (parfois jusqu’à quatre mois par an) et préside en moyenne un Conseil des ministres tous les deux ans.
Cette gestion particulière des élites politiques et administratives a eu d'importantes incidences sur l’état du Cameroun. Autrefois l’un des États africains les plus prospères, il manque aujourd’hui d’infrastructures routières, souffre d’un grave déficit énergétique, d’une corruption record, d’un système éducatif à la dérive, de pratiques mafieuses installées au cœur de l’État, etc. Il a perdu sa classe moyenne et 40 % de ses 20 millions d’habitants vivent avec moins de deux dollars par jour. Les analystes les plus optimistes estiment qu’il faudra, si la volonté politique existe, « au moins vingt ans » pour que le pays retrouve un fonctionnement plus sain.
À court terme, c’est la question de la succession de Biya, réélu fin 2011 pour sept ans lors d’un scrutin contesté, qui suscite de grandes inquiétudes. Vu la manière dont il a régné, son leitmotiv affirmant qu'il a réussi à préserver « la paix » risque d’être démenti.
Premier problème : s’il venait à mourir en fonctions, une hypothèse aujourd’hui largement vraisemblable, c’est le président du Sénat qui devrait, selon la Constitution adoptée en 1996, assurer l’intérim. Or, afin d’entretenir un équilibre institutionnel précaire empêchant ses challengers de s’organiser, Biya n’a jamais créé ledit Sénat ! Même si la Constitution précise que l’Assemblée nationale assure les fonctions du Sénat en attendant sa création, il y a un flou susceptible d’être source de conflit le moment venu.
Second problème : les barons du régime qui ont amassé d’énormes fortunes en pillant les fonds publics et par divers trafics. Plusieurs d’entre eux rêvent d’accéder au pouvoir suprême. Sans scrupule, ils pourraient être tentés, pour s’imposer, d’utiliser la violence et de jouer avec les clivages régionaux et ethniques, soigneusement entretenus par le système Biya pour diviser l’opposition et la société en général. « Si ces roitelets ne sont pas neutralisés, c’est la guerre civile assurée », estime un bon connaisseur du système. Tous les ingrédients d’une explosion sont en effet réunis : liens sociaux distendus, misère généralisée, niveau des frustrations extrême. En janvier 2012, de violents affrontements à relents ethniques entre jeunes dans un quartier de Douala, la capitale économique, ont donné une idée de ce qui pourrait arriver.
Alors que lui-même n’a encore laissé entrevoir aucun plan pour l’organisation de sa succession, des conseillers pressent Biya de faire le ménage autour de lui pour éviter ce scénario du pire. « L’opération de lutte contre la corruption baptisée Epervier est actuellement utilisée à ça », explique une source proche du pouvoir : ces dernières années, une dizaine d’ex-ministres, dont plusieurs sont soupçonnés d’avoir eu des ambitions présidentielles, ont été arrêtés et emprisonnés. Officiellement pour « détournements de fonds publics ».
Après avoir longtemps soutenu Biya parce qu’il facilitait leurs affaires, les Occidentaux ont aussi réalisé que sa longévité au pouvoir était désormais devenue un facteur d’instabilité menaçant leurs intérêts économiques. La France, ancienne puissance coloniale, est celle qui a le plus à perdre et de soucis à se faire. D’abord parce que ses entreprises, omniprésentes, occupent une place privilégiée dans le pays, terrain de jeu de Bolloré, Castel, la Compagnie Fruitière, Hachette, Lafarge, Orange, le PMU, la Société Générale, Total, Vilgrain, etc. Ensuite parce que l’aide financière et politique apportée à plusieurs reprises à Biya par Paris a entretenu un fort ressentiment des Camerounais contre la France, qui pourrait dégénérer en cas de crise. Déjà lors des troubles de février 2008, des manifestants ont vandalisé des infrastructures appartenant à des sociétés françaises.
Mais Européens comme Américains, qui ont des intérêts pétroliers dans la région, n’ont aucune prise sur le président, dont ils n’ont apparemment toujours pas compris le fonctionnement. Ainsi, en décembre 2007, alors qu’il semblait évident que Biya allait faire modifier la Constitution pour pouvoir se présenter à l’élection de 2011, les Etats-Unis croyaient encore qu’ils pouvaient le faire changer d’avis. « Nos efforts pour convaincre Biya [de ne pas supprimer la limitation constitutionnelle du nombre de mandats présidentiels], lors de réunions privées et publiques, pourraient, si c’est habilement fait, avoir un impact sur sa prise de décision », écrivait un diplomate américain dans un câble publié par Wikileaks. Quatre mois plus tard, la Constitution était amendée.
En coulisses, les diplomates français tentent tout de même d’influer sur la suite, leur objectif premier étant de faire en sorte que les intérêts de l'Hexagone au Cameroun continuent d'être protégés et garantis par celui qui remplacera Biya. Ils semblent avoir longtemps misé sur Marafa Hamidou Yaya, puissant ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (Intérieur) pendant dix ans, et réputé très proche du groupe Bolloré. Mais ce dernier a été à son tour visé par l’opération Epervier : arrêté en avril 2012, il a été condamné en septembre à 25 ans de prison pour détournements de fonds publics.

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